CHAPITRE IV
Cette fois, Frédéric avait totalement perdu connaissance.
Sa reprise de conscience fut d’autant plus agréable, qu’il sentit sur lui des mains très douces, aussi adroites que légères, aussi lénifiantes qu’exaltantes. Dès lors, il devina que de telles mains ne pouvaient appartenir qu’à des femmes.
Elles étaient deux, en effet, et il n’eut jamais osé rêver infirmières plus avenantes. Si elles n’avaient pas adopté la nudité totale d’Ondresya, du moins se contentaient-elles de pagnes élégants, semblant tissés de fils couleur d’or et d’émeraude qui laissaient en valeur des anatomies des plus agréables.
Le spéléologue manqué constata tout de suite que, contrairement aux êtres qu’il avait rencontrés depuis sa plongée cavernicole, elles avaient l’épiderme bronzé de ceux qui aiment le soleil et la mer.
De types très différents, d’ailleurs, l’une brune et l’autre blonde, mais également mises en valeur par cette tenue, par cet apport solaire et marin.
Elles tenaient de petits flacons taillés dans une matière inconnue, nacrée et translucide, et des linges blancs, qui leur servaient à étancher les nombreuses petites plaies couvrant le corps de Frédéric, après les avoir imbibés du liquide contenu dans les flacons.
Il battit des paupières, soupira, se releva, aidé aussitôt complaisamment par ces sirènes inattendues.
Décidément, la magie continuait. Mais, après l’horreur du combat fantastique, c’était bien autre chose.
Il était couché au bord d’une vaste pièce d’eau, dont les mouvements indiquaient assez qu’en dépit d’un décor toujours totalement géologique, on communiquait avec l’océan. Du sable blanc lui servait de litière et les deux jeunes femmes s’évertuaient à apaiser ses souffrances. Il se rendit compte, presque tout de suite, que l’élixir dont elles usaient avait des effets particulièrement apaisants, car la douleur cuisante s’amenuisait promptement, après application du linge humecté.
Mais d’autres personnages allaient et venaient dans cette caverne marine, ou sous-marine. Hommes et femmes, tous également patinés par une vie naturelle, tous vêtus de ces pagnes colorés, brillants, tous donnant une impression saine, de vie heureuse et simple.
Et puis Frédéric vit, en face de lui, celui qui le regardait en souriant, et il réalisa qu’il s’agissait de l’homme qui l’avait arraché aux guerriers monstrueux des profondeurs, en déchaînant contre eux un adversaire plus monstrueux encore, par la mystérieuse force qui émanait de lui.
Cet homme, de taille moyenne, donnait une incroyable impression de force. Le visage, au masque de puissance, éclairé d’yeux noirs et lumineux, encadré de cheveux de nuit légèrement ondulés, gardait une empreinte de bonté indulgente, de perspicacité aiguë. Il était revêtu d’une sorte de kimono ample et élégant, rappelant les vêtements extrême-orientaux. Sur le fond couleur d’ivoire, des créatures marines étaient brodées, en fils colorés, évoquant le poulpe et l’hippocampe, le crustacé et diverses espèces pisciformes. Mais l’hippocampe dominait.
Il n’avait sans doute pas trente ans, mais Frédéric commençait à se demander à quoi correspondaient les âges, et les chiffres en général, dans l’aventure totalement folle qu’il continuait à vivre.
Les sirènes secouristes achevaient leur rôle. Le seigneur aux hippocampes s’approcha de Frédéric.
Le jeune homme murmura un « merci » à peu près aussi maladroit que celui qu’il avait adressé à Ondresya. Mais y avait-il eu une Ondresya ? N’était-elle pas un fantasme dû à la fièvre ?
Il savait, c’était ancré en lui sans ambages, que cet homme était son sauveteur.
Et aussi, pour tout ce peuple nu, quelque prince tout-puissant.
Frédéric ne fut que médiocrement surpris, un instant après, du dialogue qui s’engagea. Parce que l’homme aux cheveux noirs parlait une langue qui ne disait rien au jeune Terrien, mais, ainsi que cela en semblait la mode dans les peuples des profondeurs souterraines, il lui transmettait psychiquement la pensée directe, dont le mot prononcé n’était que le support, inutile en l’occurrence.
L’inconnu était souriant, et malgré la force qu’il exprimait, malgré une certaine sévérité dans les traits burinés, il savait donner à son visage, reflet de son âme, une compréhension infinie d’autant plus appréciable qu’elle cohabitait avec un courage d’airain, une agressivité sans pardon envers le pervers.
Frédéric parla donc, tout simplement, en bon français, conscient d’être compris au fur et à mesure… Il narra son escapade, comment il s’était égaré, l’orage qui avait provoqué l’inondation souterraine, sa pseudo-noyade et l’intervention miraculeuse d’Ondresya.
Il recevait les réponses, parallèlement aux phrases prononcées d’une voix grave et musicale par son interlocuteur. Il le vit froncer les sourcils à l’évocation d’Ondresya et, tout de suite, il entendit :
— Tu as vu Ondresya, jeune homme des surfaces… Elle t’a sauvé… Que le dieu d’En Haut et d’En Bas en soit loué… Mais écoute-moi… Oublie !… Oublie !… D’autres soucis doivent t’absorber, dans les heures qui viennent…
Frédéric se cabra :
— Non !… Non !… Je ne veux pas… Et d’abord… de quel droit… Pourquoi voulez-vous m’interdire de revoir Ondresya ?…
Il s’était levé. Il s’avançait sur l’homme au kimono. Celui-ci parut s’amuser de cette colère subite, qui empourprait le corps encore marbré par les sévices de la pierre cruelle. Sa main, belle et large, appuya sur l’épaule de Frédéric, lequel en éprouva un apaisement immédiat :
— Jeune fou… Une femme que tu as vue quelques instants seulement…
— Mais elle m’a sauvé la vie ! s’écria Frédéric, avec fougue.
Cette fois, l’inconnu rit franchement :
— Moi aussi, dit-il avec bonne humeur, je t’ai sauvé la vie…
Et si Frédéric ne put saisir les vocables, du moins entendit-il nettement en lui la signification de ce propos, si bien qu’il resta bouche bée :
— C’est vous qui… C’est vrai ! Je ne puis en douter !
Les yeux sombres approuvèrent, muettement cette fois, mais c’était éloquent.
Frédéric se prit la tête à deux mains :
— Pardonnez-moi… Je ne sais plus… Tout cela est dément, absurde ou féerique, je suis perdu… Mais moi, je suis un gars comme les autres. J’habite Paris, je fais mes études. Pour un malheureux séjour chez des parents insupportables, un concours de circonstances me précipite… Où ? Où suis-je ? Où sommes-nous ? Qui pourrait croire qu’un monde, que je découvre, existe ainsi, sous la terre ? Est-ce une blague ? Est-ce qu’on tourne un film ? Une émission de télé ? Parce que je ne veux tout de même pas arriver à croire…
— Que tout cela est réel ? Qu’il existe, sur cette planète que tu connais, ou crois connaître, un monde autre que celui des fous de la surface ? veux-tu une preuve, Frédéric ? Tu te souviens de la ruée des guerriers négatifs ?
— Vous voulez parler de ces cavaliers cadavériques, en armures noires, sur des chevaux aveugles ?
— Oui. Nous les appelons les Négatifs et malheureusement, tu sauras qui ils sont, à quelle force maudite ils appartiennent… Sais-tu comment je les ai frappés et éloignés de toi ?
— Mais ce sont les bêtes… Les chauves-souris… les serpents…
— Viens avec moi !
Subjugué, Frédéric suivit le mouvement, tandis que les deux assistantes s’écartaient en souriant, et qu’il ne pouvait s’interdire de jeter un coup d’œil, à présent qu’il allait beaucoup mieux, sur ces beautés réelles, aux chairs dorées et pleines.
Il put également admirer d’autres jolis spécimens féminins, que cette tenue succincte mettait en valeur. Ainsi que les hommes qui se trouvaient dans les divers groupes, occupés les uns et les autres à des besognes que Frédéric ne comprit pas.
Tout comme ceux que le seigneur inconnu avait appelé les Négatifs, ils appartenaient visiblement aux diverses races de la planète Terre. Seulement, tous et toutes, sains, sportifs, offraient l’aspect réconfortant des amants de la mer et du soleil.
Le prince sautait lestement sur un rocher élevé et invitait Frédéric à le rejoindre.
Ainsi, celui qui venait de la surface put estimer les dimensions de ce lac, ou plutôt de ce lagon intérieur, car il évoquait la parenté avec l’océan, encore qu’il s’enfonçât, très loin, sous la voûte déchiquetée et pittoresque.
Frédéric s’en rendit compte seulement à ce moment. La clarté qui régnait n’était plus celle des « soleils bleus » évoqués par Ondresya, mais une lumière qui lui parut plus normale. Solaire, incontestablement. Il regarda attentivement et constata qu’elle ne tombait pas des fissures, sans doute pratiquées, peut-être naturelles, dans la masse rocheuse. Mais c’était bien l’astre du jour tutélaire de la Terre qui devait en être la source.
Cependant, le prince, immobile, avait croisé les bras. Il semblait soudain absorbé, se concentrant pour quelque opération mystérieuse.
Cela dura une minute peut-être. Frédéric n’osait troubler son silence, et tous les autres s’étaient écartés respectueusement.
Puis, l’inconnu tendit le bras, alors que son visage se détendait.
Frédéric vit, parmi les vaguelettes qui provoquaient sans cesse un léger ressac, plusieurs poissons, d’ailleurs blancs, décolorés et quasi translucides, comme les autres animaux sub-terrestres.
Ils arrivaient, en bancs de plus en plus serrés. Il y en avait de minuscules mais aussi des espèces beaucoup plus grosses. Finalement, Frédéric crut même distinguer plusieurs squales, qui ne s’en prenaient nullement à leurs mini-congénères aquatiques.
Tout ce monde, il le réalisa immédiatement, accourait à l’appel du prince des cavernes.
Les poissons arrivaient du fond de l’onde, formant une sorte de masse blafarde, tranchant sur le joli vert des eaux. C’étaient des fantômes de poissons, aurait-on dit, et cette fois, sans trop de surprise, Frédéric constata qu’ils étaient sans exception, totalement privés des organes de la vue.
Et tout cela, maintenant, au pied du roc, entamait une sorte de ronde frénétique, tournait et retournait sans cesse, en rangs pressés, en un véritable conglomérat de chairs blêmes mais incroyablement vives, accrochant parfois d’étranges reflets, lançant des étincelles d’origine écailleuse.
Ceux qui arrivaient le plus près possible du roc manifestaient alors leur joie, leur soumission au maître, sautant, cabriolant, bondissant au-dessus des eaux, en gerbes blanches du plus curieux effet.
Frédéric était stupéfait. Mais il comprenait comment cet homme exceptionnel avait pu chasser les Négatifs, avec l’aide des animaux cavernicoles obéissant à sa voix silencieuse, à son mystérieux et prestigieux appel psychique.
Longuement, les poissons dansèrent cette sarabande folle, puis le prince eut un geste qui pouvait être interprété à la fois comme un salut, un remerciement, un signe d’apaisement.
Comme à regret, les poissons exécutèrent encore un dernier tour, puis on les vit s’éloigner, se disperser, se fondre, maintenant redevenus plus calmes, dans l’énigme des fonds marins.
— Alors, Frédéric ?…
Frédéric se demandait s’il devait se mettre à genoux. Il en avait un peu envie, en un mouvement puéril et violemment sincère. Mais cela lui parut suranné. Après tout, dans les années 75 siècle xx, un jeune membre de la civilisation occidentale doit avoir le sens d’un certain ridicule.
Il était abasourdi et ne savait plus que dire. Pourtant, il déglutit et osa demander :
— Je… dites-moi… où sommes-nous donc ?
— Tu le sais, au sein de la planète que tu connais bien… ou que tu croyais connaître, comme la majorité de ceux qui vivent en surface…
— Non ! je vous en prie (il s’énervait soudain, tapait du pied) je veux savoir exactement où…
— Je puis te dire que nous sommes loin de la région d’où tu viens, appelée France…
— Mais je voudrais y revenir… Les miens… mes parents…
Un voile de tristesse passa sur l’énergique visage :
— Ils ont du chagrin, Frédéric… Tu as disparu à jamais pour eux !
Frédéric reçut cela comme un coup de poing. Et soudain il hurla :
— Non ! Non ! C’est une blague… Tout cela est faux !… Ce n’est pas vrai… ce n’est pas possible… Une pareille connerie. Moi, je veux remonter, je veux sortir d’ici… je veux…
Il se rua soudain sur le prince. Il n’alla pas loin. Deux poignes solides l’avaient saisi et maîtrisé.
Il se rendit compte, tout de suite, que deux des hommes présents, un Blanc et un Noir, aussi athlétiques l’un que l’autre, avaient bondi sur un léger signe de l’interlocuteur de Frédéric.
Celui-ci demeurait égal à lui-même et ne paraissait pas s’irriter :
— Je te plains, petit… Mais il y a une loi, chez ceux du fond de la planète. Une loi que nul ne peut transgresser… On ne remonte pas à la surface. Tu trouveras ici une vie autre, un univers insoupçonné… Oh ! tout n’y est pas idyllique, l’éden est impossible partout où vivent ces étranges mammifères bipèdes appelés hommes et femmes… Tu en as fait l’expérience avec les Négatifs, partie dissidente de notre monde, résidu d’intellectuels exacerbés, de penseurs néfastes, qui ont petit à petit formé un peuple de destructeurs, allant de la technique la plus subtile, tu en auras connaissance, à la barbarie la plus grossière… Mais il y a les autres… Et les miens, que tu vois autour de toi… Ceux qui vivent avec la Grande Nature…
Frédéric se reprenait un peu et mollissait sous la poigne des deux gardes.
Il soupira :
— Vous me retranchez de ce qui était ma vie, mais vous m’avez sauvé… Pardonnez-moi… Vous me prenez peut-être pour un ingrat… Seulement, vous m’annoncez que je dois renoncer à ma mère, à mon père, à mes amis…
— C’était ton destin, Frédéric…
Le jeune homme, quoique toujours maintenu, releva la tête :
— Mais vous… mais tous et toutes ici, je le vois bien… Vous ne vivez pas toujours sous la terre… sinon vous seriez livides comme les Négatifs qui m’ont poursuivi, ou vous seriez aveugles comme tous ces animaux, qui ne font que suivre l’évolution dans les ténèbres, et ont subi une mutation…
— C’est vrai. Ces grottes communiquent avec certaines îles, certains rocs isolés… mais loin des lignes maritimes et aériennes… Nous échappons aux vues des navigateurs et des aviateurs, même quand nous nous prélassons sur des plages, lesquelles nous sont réservées…
— Cela ne durera pas toujours… les hommes finiront par découvrir…
— Nos refuges ? Cela s’est fait quelquefois et se fera encore. Mais les indiscrets, alors, deviennent nos prisonniers, comme toi, puis nos amis, comme tu le deviendras… Et ils sont des nôtres, et leurs enfants sont nos enfants…
Frédéric allait de surprise en surprise.
Mais il voulait savoir encore, à travers la douleur qui l’accablait à l’idée d’être retranché de la vie moderne :
— Vous avez parlé de technique… Mais tout, ici, me semble près de la vie primitive…
— Chez nous, c’est vrai ! Mais il existe des cités, à des profondeurs qui te surprendront… Et notre évolution mécanique, non seulement suit de près celle des gens de la surface, mais encore, quelquefois, elle la dépasse… Oui, nous avons ici des savants de valeur… Et puis, je faisais allusion à ceux qui viennent grossir nos rangs… Il y a souvent, Frédéric, des naufrages, des disparitions d’avions qui demeurent inexpliqués… Le plus fréquemment, il s’agit de ceux qui nous rejoignent, au départ à leur corps défendant, jusqu’à ce qu’ils conviennent que notre existence a quelque charme…
— Et si je refusais, moi, si je voulais retourner…
— Vers la France ? Tu en es loin, très loin… Tu n’imagines pas ce qui s’est passé depuis ton évanouissement. Tu as été transporté… je ne te dirai pas où. Sache que si tu montais vers les îles proches, tu serais au sein d’un océan où ne passent pratiquement jamais les navires ni les avions… T’évader est impossible. Mais je le sais, bientôt tu voudras rester…
— Jamais !
Le prince hocha la tête :
— D’autres l’ont dit avant toi… Ils ont oublié la surface…
Frédéric voulut se révolter encore, mais il n’en pouvait plus.
Ses nerfs lâchèrent et il se mit à pleurer comme le gosse qu’il était.
Les gardes, sur un signe du prince, le libérèrent et s’écartèrent.
Une foule de questions se pressaient encore dans l’esprit de Frédéric, mais une autre idée lui vint :
— Je vois que votre pouvoir est grand, ici… Il y a cependant bien des choses que je ne comprends pas… Je veux cependant vous demander une précision… ou plutôt une faveur.
— Si je puis te faire plaisir…
Nettement, Frédéric prononça, le regardant en face :
— Je veux revoir Ondresya…
Le seigneur inconnu demeura silencieux. Il réfléchissait et Frédéric, qui tremblait un peu, attendait la réponse, pour lui un véritable verdict.
— Tu y tiens absolument ?
— Oui.
— Sais-tu que cette femme est, pour toi, inaccessible ?
Frédéric eut le léger sourire des garçons qui ont déjà séduit – ou cru séduire – quelques faciles créatures et en ont contracté une mentalité de coquelet.
— C’est bon. Si c’est ton dernier mot… Tu la reverras… Mais d’ores et déjà, pour des raisons que… tu connaîtras un peu plus tard, je te préviens que tu dois renoncer à elle…
— Pouvez-vous au moins me permettre de la revoir ?
— De toute façon, dans le monde sub-terrestre, tu en auras l’occasion. Mais plus comme une idole lointaine que comme une femme…
Tout ce que Frédéric avait en lui de sensualité et de sentiment remontait en surface. On le retranchait du monde où il était né, de ceux qui lui étaient chers. Dans ce chaos, il s’accrochait à la vision de cette créature à la fois fantasmagorique et sportive, irréelle et tangible, qui avait traversé son cauchemar.
— Mais nous avons du chemin à faire, dit le prince. Nous irons, puisque tu le veux, vers les cités profondes…
Il donna des ordres que, cette fois, Frédéric ne put comprendre, puisqu’il ne saisissait le sens que des paroles à lui directement adressées.
Une jeune femme lui apporta un plateau, avec des fruits visiblement mûris dans les régions chaudes du globe ; il pensa alors qu’il avait été conduit en effet très loin des Pyrénées, et aussi des coquillages variés. Un gobelet contenait un breuvage qu’il apprécia, sans pouvoir en déterminer la nature. Mais il se sentit bientôt revigoré.
— Es-tu prêt ? demanda le prince.
Frédéric acquiesça.
Il sut alors qu’il fallait se mettre à l’eau, descendre en profondeur.
Ahuri, il bégaya qu’il ne possédait aucune qualité de plongeur pour de telles performances.
— Ne t’inquiète pas… Nous serons aidés…
Deux jeunes femmes s’approchaient du prince et lui retiraient son kimono. Il apparut, rude et élégant comme un soleil nu, les épaules étonnamment larges contrastant avec la finesse de la taille qui lui donnaient l’aspect d’un triangle dans un carré, l’épiderme poli d’une belle statue, le ventre irradiant des géniteurs féconds.
Une charmante sirène invitait Frédéric à quitter son slip. Il se mordit les lèvres, rougit un peu, mais obéit et se trouva dans le même appareil que son étrange sauveur.
Il constata alors, ce qui chassa sa gêne, que six hommes et six femmes quittaient leur pagne et le remettaient à d’autres compagnons.
De nouveau, le prince conduisit Frédéric vers le bord de l’eau et le jeune homme vit le groupe qui formait autour d’eux, un demi-cercle. Il devina tout de suite qu’il allait assister à quelque nouveau prodige.
Il ne fut pas déçu. Le prince et tous les autres, visiblement, devenaient méditatifs, fixant tous la surface de l’eau.
Un temps. Le silence.
Puis un creux commença à se former, comme si une sphère invisible se fut enfoncée dans la masse aqueuse.
Bientôt il y eut, devant eux, pratiquée directement dans l’eau, une cavité semi-sphérique, large de quatre ou cinq mètres.
Le prince invita Frédéric à s’y engager, s’y dirigeant lui-même.
Frédéric sentit son cœur sauter dans sa poitrine. Il se trouvait contre la paroi invisible ET L’ENSEMBLE PENETRAIT PLUS AVANT VERS LES PROFONDEURS.
Il sursauta, se retourna, glissa au fond de la sphère ainsi formée.
Car il s’agissait bien d’une sphère parfaite, maintenant, dans laquelle le garçon venu de la surface de la Terre se trouvait avec le prince des profondeurs.
Et la bulle énorme, ainsi formée, pénétra plus avant dans l’onde.
Tout de suite, Frédéric vit les nageurs. Tritons, et aussi sirènes, souples et puissants, tous ceux et celles qui avaient aidé psychiquement leur seigneur à réaliser cet engin transparent mais incroyablement solide, qui emmenait deux hommes.
Ils évoluaient autour et Frédéric supposa qu’ils continuaient, pendant cette étrange plongée, à entretenir, par leur apport mental, le potentiel énergétique nécessaire à maintenir la bulle en état.
Environnée par le gracieux carrousel des nageurs, la sphère descendit, descendit, dans ce gouffre à la fois souterrain et sous-marin, vers des profondeurs vertigineuses…